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Croix-Rousse, les arêtes de poisson

arêtes de poisson Lyon
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Depuis leur découverte il y a plus de 60 ans, les tunnels “en arêtes de poisson” des pentes de la Croix-Rousse sont une énigme.

Le 18 février 1959 était une journée ordinaire pour les ouvriers de la voirie de Lyon, en France, chargés de construire un tunnel sous la colline de la Croix-Rousse afin de réduire les embouteillages. En forant, ils sont tombés sur un vieux puits. Ce n’était pas inhabituel. Bien que Lyon soit située entre deux grands fleuves, l’accès à l’eau potable est difficile et la ville est parsemée de puits. Mais en regardant de plus près, les cantonniers ont découvert que ce puits ne descendait pas simplement à la verticale. Un réseau de 32 tunnels identiques, d’environ 30 mètres de long chacun et se terminant mystérieusement par un cul-de-sac, partait du puits. Cette curieuse structure ressemblait à un squelette de poisson, c’est pourquoi on les a appelés les arêtes de poisson.

Un réseau souterrain comme il en existe ailleurs ?

Cela ne semble pas si étrange que cela. Les réseaux souterrains de ce type sont courants en Europe. La plupart des villes possèdent des tunnels souterrains autrefois utilisés comme cryptes, citernes ou entrepôts : Les catacombes de Paris abritent les restes de plus de six millions de personnes, les voûtes d’Édimbourg abritaient autrefois les pauvres de la ville et leur bétail, et le Yerebatan Saray d’Istanbul, ou palais englouti, est un vaste système souterrain de filtration des eaux construit au VIe siècle pour alimenter en eau les palais de la ville. Lyon elle-même possède de nombreux tunnels souterrains, bunkers et ouvrages hydrauliques, dont beaucoup sont ouverts au public. Mais aucune de ces structures n’a mis autant de temps à être datée – ou n’a posé une telle énigme quant à sa finalité – que les arêtes de poisson de Lyon.

Le mystère s’est épaissi avec leur découverte en 1959, qui n’a même jamais été annoncée publiquement. En 1961, une fuite d’eau provenant de l’un des puits rattachés aux arêtes de poisson a conduit les services municipaux de Lyon à découvrir un autre des passages, dans lequel ils ont trouvé une scie, une truelle et une quantité importante de restes humains, dont ils ont supposé qu’ils avaient été jetés dans l’un des puits. Parmi les “détritus” se trouvait la moitié d’une couronne de laurier en bronze, recouverte de feuilles d‘or.

Amable Audin, historien et fondateur du musée gallo-romain de Lyon, s’est réjoui de cette découverte, selon sa collègue Cyrille Ducourthial. Lugdunum, l’ancienne ville de Lyon, a été fondée en 43 avant J.-C. par le sénateur romain Munatius Plancus pour accueillir des réfugiés fuyant les persécutions à Vienne, à une trentaine de kilomètres au sud. Elle est rapidement devenue l’une des villes les plus importantes de l’Empire romain, produisant deux futurs empereurs et comptant 200 000 habitants en 192. L’amphithéâtre des Trois Gaules se trouve toujours au pied de la Croix-Rousse, remarquablement bien conservé au milieu des boutiques, cafés et bars bohèmes qui font aujourd’hui la réputation du quartier. Audin en déduit que la couronne provient d’une des statues qui trônaient à l’origine sur l’autel du Sanctuaire des Trois Gaules (dont l’amphithéâtre faisait partie). Il l’exposa au musée.

Mais au lieu de poursuivre ses recherches, Audin conclut à tort que les tunnels étaient une construction moderne. Il n’avait jamais rencontré d’architecture romaine construite avec le type de pierres utilisées dans les arêtes de poisson et supposait que les passages avaient été construits dans les années 1600, en même temps que les rues qui les surplombaient. Ainsi, les restes humains ont été exhumés, les tunnels ont été refermés et la ville de Lyon a continué à ignorer l’existence des arêtes de poisson, un éléphant géant dans le sous-sol de la Croix-Rousse.

Plan arêtes de poisson

Un trésor mystérieux et oublié

Pendant plus de 50 ans, les arêtes de poisson sont restées dans l’oubli. Les seuls visiteurs sont clandestins : des jeunes qui graffent les murs et organisent des raves dans les tunnels et des spéléologues curieux. L’un de ces derniers a trouvé un point d’entrée sous l’église Saint-Bernard à la Croix-Rousse. L’église avait été déconsacrée en 1999 et fermée complètement en 2004.

Les spéléologues amateurs connaissent bien les tunnels lyonnais, l’un des labyrinthes les plus connus de la ville se trouvait sous la colline de Fourvière, en face de la Croix-Rousse. Construits à l’origine comme système d’irrigation, les tunnels ont attiré l’attention du public lorsqu’une section s’est effondrée et a provoqué un glissement de terrain en 1930, tuant 39 personnes. D’autres tunnels, connus sous le nom de Sarrazinières, s’étendaient de Caluire, juste au nord de la Croix-Rousse, au Parc Miribel, à 8 km à l’est, le long du Rhône, et avaient été largement inondés par le fleuve. Concernant les arêtes, bien des hypothèses ont été faites et une retenue est intéressante : les arêtes de poisson étaient des passages secrets utilisés par Guillaume de Beaujeu, le dernier grand maître des Templiers. Une phrase dans un livre de l’historien Marius Audin faisait allusion à un réseau de tunnels sous Lyon. “Le sire de Beaujeu avait établi un système de communications souterraines formant une double voûte, parsemée de retraites, qui lui permettait de circuler entre Lyon et Miribel avec deux lignes de troupes en sens inverse“, avait écrit Marius Audin.

Certaines arêtes étaient obstruées par du bois et du béton, différents de la pierre utilisée dans les passages. On peut alors en déduire que les arêtes de poisson étaient autrefois reliées aux Sarrazinières et qu’il s’agissait des tunnels décrits dans le livre de Marius Audin. Un archéo-spéléologue amateur a commencé à faire des recherches sur les mystérieux Templiers, une organisation fondée par le chevalier français Hugues de Payens en 1119 pour protéger les pèlerins chrétiens se rendant à Jérusalem. Les pèlerins étant souvent massacrés par centaines en route, généralement pour leurs objets de valeur, ils déposaient de l’argent auprès des Templiers avant de commencer leur voyage, qu’ils échangeaient à leur arrivée. Elle est souvent considérée comme la première banque internationale du monde. En tant qu’entreprise extrêmement riche et secrète, les rumeurs d’un trésor caché des Templiers ont couru pendant des siècles. Notre chercheur amateur était convaincu que les tunnels avaient été construits à cette époque, pendant les croisades, peut-être pour dissimuler le trésor longtemps perdu des Templiers.

Le gouvernement français s’en mêle

Ce n’est qu’en 2007, 48 ans après la découverte initiale des ouvriers de la voirie, que le gouvernement français a demandé au service d’archéologie de Lyon de réexaminer les arêtes de poisson. Huit ans plus tôt, le tunnel du Mont-Blanc, qui relie la France à l’Italie via les Alpes, avait été le théâtre d’un accident catastrophique. Un camion de transport avait pris feu, bloquant le tunnel et tuant des dizaines de personnes. Inquiet du risque d’un accident similaire à Lyon, le gouvernement envisage de doubler la largeur du tunnel pour créer une voie de sortie de secours, mais il doit d’abord s’assurer qu’il ne traverse pas un site historique important.

Ducourthial, l’archéologue et chercheur du département d’archéologie de Lyon, s’est immédiatement mis au travail. Au cours de l’été 2007, lui et son équipe d’archéologues ont passé six semaines presque entièrement sous terre pour étudier les arêtes de poisson. Il leur a fallu trois ans pour parvenir à une conclusion. De nombreux puits perçant les arêtes de poisson étaient beaucoup plus modernes que la structure originale et avaient été bétonnés par endroits, il était donc difficile de trouver des parties de la structure originale à dater au carbone. De plus, les habitants de la ville ont jeté leurs déchets dans les puits pendant des siècles. Ainsi, bien que la couronne de laurier soit sans aucun doute romaine, elle a côtoyé des fiches et des prises du XXIe siècle. Sous des couches de graffitis, ils ont cependant découvert des inscriptions romaines : des noms gribouillés, des chiffres et même des preuves que des personnes s’exerçaient à écrire l’alphabet. En 2010, grâce à la datation au radiocarbone, la conclusion a été tirée : les arêtes de poisson étaient romaines, construites entre 100 avant J.-C. et le 1er siècle, à peu près à la même époque que l’amphithéâtre des Trois Gaules. Nazim, notre chercheur amateur avait cependant vu juste sur un point : les tunnels avaient bien été reliés aux tunnels de Sarrazinières.

Une grande énigme demeure : la finalité des tunnels. En juin prochain, des spécialistes mandatés par le service d’archéologie de Lyon (dont des géologues et des historiens) présenteront leurs hypothèses lors d’un séminaire ; conformément aux années de mystère qui entourent les tunnels, il n’est pas certain que les résultats soient rendus publics. De nombreuses théories ont déjà été démystifiées : les tunnels n’étaient pas un système de drainage des eaux, un refuge ou une catacombe. Le fait que les arêtes de poisson aient été reliées aux tunnels de Sarrazinières rend les choses encore plus mystérieuses ; si elles ne servaient qu’à stocker des objets, pourquoi fallait-il les rattacher à huit kilomètres de tunnels s’étendant hors de la ville ?

Ducourthial a sa propre hypothèse : Bien que les arêtes n’aient pas été construites dans le but d’abriter le trésor secret des Templiers, il est fort possible, selon lui, qu’elles aient constitué une sorte de trésor.

“Les arêtes de poisson sont bien construites, mais elles ne sont pas exceptionnellement sophistiquées”, explique-t-il. “Les tunnels sont très humides, il est donc peu probable qu’ils aient été utilisés pour stocker de la nourriture. Il est plus probable qu’ils aient été utilisés sous l’Empire romain pour stocker l’argent collecté grâce aux impôts, ou même un trésor.”