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Les aventures d’un américain à Lyon

Buford Lyon Bocuse

L’écrivain américain Bill Buford s’était illustré en 1990, avec son livre « Among the Thugs« , pour lequel il avait passé plusieurs années à traîner avec des hooligans du football et à se faire tabasser lors d’émeutes. De là, il n’y avait qu’un petit pas vers les tourments et les humiliations de la cuisine professionnelle. Dans son livre suivant, « Heat » (2006), il nous raconte comment, fatigué de n’être qu’un bon cuisinier à domicile, il est allé travailler pour Mario Batali, nous dévoilant sa passion pour la gastronomie.

Dirt: Adventures in Lyon as a Chef in Training

Dans sa dernière publication (mai 2020), « Dirt: Adventures in Lyon as a Chef in Training« , Buford porte son obsession à un tout autre niveau. Convaincu qu’il ne sera jamais un cuisinier sérieux sans formation française, a 54 ans, il quitte son emploi de rédacteur de fiction au New Yorker et s’installe à Lyon, déracinant sa femme (ancienne rédactrice au Harper’s Bazaar, aujourd’hui experte en vins) et leurs deux jeunes fils.

Gastronomiquement parlant, ce choix était complètement logique : Lyon est, ou a été, la ville de certains des plus grands chefs français, dont le regretté Paul Bocuse, étoilé au Michelin, dont la présence bienveillance plane sur la ville.

Dirt: Adventures in Lyon as a Chef in Training est donc bien sûr aussi la vision de notre ville par un new-yorkais.

Un New-yorkais à Lyon

À bien des égards, comme il le reconnaît, ce choix de vie était irresponsable. Déjà, il ne parlait pas à mot de français à son arrivée. Aussi, il s’avère selon lui que Lyon n’est pas un endroit facile à aimer. Même si ça ne semble pas forcément avoir été le cas pour sa famille, Buford a eu du mal à s’intégrer, à comprendre la ville et les lyonnais.

La première impression de la famille est pour le moins négative. Parmi autres étrangeté, un chauffeur de taxi fait une bise à son fils ; la plupart de ses demandes sont accueillies avec un haussement d’épaules … Pourtant, après un passage à l’école de cuisine de Bocuse et un bref apprentissage chez un boulanger local, il se faufile dans la cuisine de La Mère Brazier, l’un des hauts lieux de la ville et finit par s’installer à Lyon avec sa famille pendant cinq ans.

La persévérance de Buford est extraordinaire, et il faut admirer sa volonté de commencer par le bas de l’échelle. Il raconte qu’il s’est parfois senti comme étant le gibier parmi les hyènes dans la cuisine de la mère Brazier, avec sa pression performative (« Vite ! Vite ! Vite !« ), ses railleries (« Sylvain est un chef de bistrot« ), ses méthodes de résolution des conflits à l’ancienne (« Mets lui en une !« ) et son personnel légèrement démuni (dont un type appelé gentillement « Ansel le trou du cul« ). C’est un endroit qui prend deux choses désagréables – la fanfaronnade chauvine et l’agitation maniaque – et les combine. Buford est parfois littéralement choqué ; la seule femme dans la cuisine lui semble malmenée, et il reste honnête sur la ligne qu’il franchit de temps en temps entre observation et collusion. Mais au fil du temps, il gravit les échelons. Son persécuteur en chef finira même par faire l’éloge de ses pommes de terre.

Et puis il ne s’agit pas que de cuisine. Il y a le monde extérieur. Le livre fourmille de personnes, de lieux, de restaurants, de recettes, de digressions historiques et de spéculations culinaires (il ne cesse de s’enquérir des origines italiennes possibles de la nourriture française). Tout au long du livre, on observe le cheminement de sa famille à Lyon. Sa femme et ses enfants s’en sortent plutôt bien. Buford, moins naturel, continue à être obstiné.

L’amour du terroir

Il ira même jusqu’à découvrir les traditions à la source, invité à une tuerie de cochons (« En fait, j’ai tout fait pour ça : j’ai supplié »), première étape de la fabrication du boudin noir. Son rite de passage : goûter le sang frais et moussant. Il parcourt la région dans le cadre de pèlerinages gastronomiques. On y trouve de belles descriptions du paysage, et l’on perçoit la puissance de ce que nous appelons communément terroir, dans les mots d’un étranger qui en apprend le concept même. Ne vous méprenez pas en traduisant le titre du livre « Dirt: Adventures in Lyon as a Chef in Training« . Dirt est un terme purement anglo-américain ; s’il veut aussi sire comme en anglais britannique, « saleté », il exprime ici avant tout la substance « terre », mais surtout pour Buford, le terroir. On pourrait alors le traduire « Terroir : Aventures à Lyon en tant que chef en formation ».

À la fin du séjour, ses fils parlent le français comme si c’était leur langue maternelle et sont devenus eux-mêmes de petits gastronomes.

Buford a ramené avec lui à New York une partie de la compréhension de cet initié. Il écrit une chronique sporadique sur la cuisine française pour le New Yorker. Il en a assez de l’immersion totale et est heureux de réfléchir à ce qu’il a appris.